Un conte
De temps à autre, je publie une œuvre de fiction. Cette semaine, je vous offre un conte intitulé La complainte de Pierrot.
La complainte de Pierrot
On retrouva Pierrot au pied d’un grand pin.
L’écume à la bouche, le cou désarticulé auprès d’une grande branche aussi cassée. Qui pouvait bien l’avoir ainsi envoûté? On demanda au merle, au canard et à l’engoulevent. Mais nul ne put répondre. On interrogea le renard et le lapin. Le raton, le hérisson. Seul un solitaire bûcheron aurait pu raconter.
Par un temps de grands vents, lui seul avait vu, témoin de ses yeux vus, la rencontre de Pierrot avec sa Pierrette. Seul le bûcheron savait, pour les avoir entendus, que la Pierrette s’en était allée. Partie au loin, au nord, dans une autre campagne où un autre gaillard l’attendait. Ainsi, le Pierrot s’est trouvé abandonné autant par sa Pierrette que par sa destinée.
Et il s’en est allé lui aussi, de ça, de là, divaguant dans le village jusqu’à l’approche du boisé.
Arrivée au lieu-dit « du grand pin », une chouette vit Pierrot s’arrêter, hébété devant le majestueux conifère. Le jeune homme regarda le très haut, celui où, au pied, il avait une première fois embrassé sa douce fiancée. Puis les muscles bouillant de rage, il se mit à y grimper. De branche en branche, il monta, ruant au passage l’écorce de rudes coups de pied. Volant autour de la cime, l’oiseau l’entendit insulter le résineux comme si celui-ci eût été son inconnu rival. Ce long tronc fièrement dressé, symbole des amours passés, prit une autre raclée, violenté par un Pierrot enragé. Le cocu frappa, cogna et tapa encore. Mais de là, haut perché, le sifflement des cieux en vint peu à peu à le calmer.
Et la chouette, au bûcheron, rapporta que c’est vers le nord qu’ensuite Pierrot regarda. Il scruta, observa, chercha. Fouilla l’horizon où nulle Pierrette ne se dessinait. Plus jamais il ne la reverrait.
Alors, le vertige de son chagrin le saisit.
Et pendant un long et sombre mois, on entendit dans le village toutes les nuits dans une psalmodie, les litanies de la peine de Pierrot résonnant sur tous les toits du village jusqu’au plus haut du clocher. Une longue plainte rythmée aux mêmes mouvements des jadis amours désormais évaporés. Telle la complainte d’un loup ensorcelé, on ne put jamais arrêter cette grande lamentation de notre Pierrot atteint de peine et de surdité. Car personne, il ne voulait entendre. Et du jour, il ne donnait aucun signe de vie. À aucun de ses frères venus lui réclamer de descendre. À aucun de ses amis ou cousins. D’aucun pain offert, il n’a voulu manger. D’aucune eau, il n’a voulu s’abreuver. D’aucun bras il n’a voulu s’entourer et, d’aucunes épaules il n’a voulu de ses larmes mouiller.
Éploré, couché dans sa litière d’aiguille en haut de son grand pin, il a purgé son tourment. Et c’est ainsi qu’un matin, on le retrouva. L’écume à la bouche, le cou désarticulé auprès d’une grande branche aussi cassée tout près d’un nid de chouette tombé.
Accablé de sa peine, il est mort déchu, emporté par le poids de son amour abandonné.
Toujours est-il que le lendemain matin, on vit que le grand pin, en une seule et bizarre nuitée, vers le nord s’était penché pour que chacun ne puisse jamais oublier que c’est par-là que la Pierrette s’en était allée.
Depuis, toutes les années, quand vient le temps des grands vents, aux oreilles des merles, des canards et des engoulevents. Aussi à celles des renards, des lapins, des ratons et des hérissons, pendant un mois on entend. Telle une psalmodie résonnant toutes les nuits. Sur tous les toits du village jusqu’au plus haut du clocher, le solitaire bûcheron entend, lui aussi les litanies et les bruissements.
L’écho des sanglots de la peine de notre Pierrot.
Photo de Lhom
Nous avons bien cherché mais nous n’avons pas trouvé le grand pin de Pierrot!
En fait, la photo de Lhom de la semaine nous présente une forêt de pins dans le New Hampshire.
Je vous remercie d’avoir lu ce conte.
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Je suis également reconnaissante que vous ayez pris le temps de lire mon texte au complet et de contribuer à la popularité du blogue!
J’attends vos commentaires avec plaisir.
Bonne semaine.
Phrenssynnes
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Quelle histoire triste !