Bonjour lecteur et lectrice,

Je récidive cette semaine et je publie une autre de mes nouvelles intitulée L’ostinato.

Je me suis creusée les méninges sur ce que j’allais publier cette semaine. En fouillant dans mes fichiers, je suis tombée sur ce texte. Tel que je vous en ai parlé il y a quelques jours, suite au décès récent de Paul Auster, on parle beaucoup, ces temps-ci, de son œuvre.

Je me suis inspirée du thème du hasard, souvent présent dans les livres d’Auster, pour retravailler cette nouvelle qui, j’espère, vous divertira.

Cœur dans un café (crédit photo Phrenssynnes)
Cappuccino et La nuit de l'oracle (crédit photo Phrenssynnes)

L’ostinato

Elle entend toujours cette petite ou plutôt cette grande mélodie dans sa tête.  Pas comme un refrain, mais plutôt une obsession fatigante.  Une chanson, un air qui ne la lâche pas, qu’elle ne peut s’empêcher de fredonner depuis des jours.  Et dont elle ne connaît ni le titre ni les paroles.  Non, pense-t-elle, il n’y a pas de mots dans cette musique.  Elle ignore tout en la matière, mais, ça, elle le sait.

Et cette chanson l’obsède.

De toute façon, ça finira par passer, se rassure-t-elle.  Tout comme son chagrin d’amour, tout finit toujours par passer.

Elle se consacre à ses affaires sans trop réfléchir.  Le travail, l’épicerie, le congrès, les impôts, les vacances à venir.  Tout défile dans sa vie et s’accomplit, tac, tac, tac, une tâche après l’autre.  Tout s’emboîte; la gym, le boulot, les amis.  Le tout revêt un certain rythme, mais qui ne fait vibrer personne. Pas même Louise.  Louise qui ne goûte pas, mais se précipite sans cesse.

Et là, depuis quelque temps, cette mélodie obsédante la harcèle parfois jusqu’au plus bleu de la nuit.  Elle ne la connaît pas, mais l’a déjà écoutée, oui, quelque part, elle l’a entendue.  C’est un air célèbre, elle le croit, mais où donc a-t-elle remarqué cette œuvre?  Elle n’a aucun souvenir qui s’y rattache, mais elle prend conscience, sans savoir pourquoi, que cette harmonie la fait vibrer. Elle change son humeur.

Cet air l’aide à se concentrer sur le son des oiseaux qui gazouillent, à être attendrie devant un poupon dans un carrosse.  La musique la réconcilie avec la vue d’un couple d’amoureux qui s’embrassent dans la rue. Elle respire, de nouveau, le parfum de l’été. Par miracle, la routine quotidienne se transmue en une joyeuse chorégraphie sous le rythme harmonieux.

Et Louise se laisse bercer dans la cadence de ce tempo uniforme.

Parfois, la mélodie diminue sans en avoir véritablement conscience.  Régler les conflits au bureau, diriger le département, faire ses courses. Tac, tac, tac, la machinerie reprend le dessus.  Quand le mécanisme grince, elle se dit que ça va passer.  Tout finit toujours par passer.

Ses connaissances musicales presque nulles ne l’aident pas. Elle note sur sa liste de choses à faire de tenter de trouver le titre de cette œuvre.  Par malheur, elle chante si faux qu’elle ne se voit pas babiller l’air devant n’importe qui!  Alors sa petite mélopée reste en elle, lovée dans un petit coin obscur.  Toujours là et lentement, en sourdine, elle la comble.

Par un samedi gris et morne, Louise fredonne dans sa tête tout en bouquinant dans une librairie.  Elle tend la main vers un livre et, alors qu’elle va le saisir, une tierce main croise la sienne. Louise réussit à s’emparer de l’objet avant l’autre.  Elle se retourne et regarde l’intrus.

« Oh! C’est celui-là que je voulais! susurre-t-il.

— Désolée, trop tard, déclare-t-elle.  Il n’y en a pas deux.

— Et vous le prenez?

— Évidemment! réplique-t-elle, sans réfléchir.

En fait, elle n’avait pas la certitude de l’acheter, du moins jusqu’au moment où elle l’a touché.  C’est le contact avec l’objet qui la décide.  Elle caresse le dessus, jamais elle n’a senti une telle douceur. Quel est ce nouveau matériau? L’effleurement de ses doigts sur la couverture bleu nuit la trouble. Comme ce livre semble agréable à palper, songe-t-elle. « Mais allez-vous l’acheter, insiste-t-il avec son plus beau sourire.

— Évidemment que je l’achète! assure-t-elle sans être dupe. »

La passe de la drague à la librairie, elle se l’est déjà fait faire.  Et, elle catégorise l’importun dans la section « beau gars », en plus.  Ce sont les pires, se convainc-t-elle, ils sont assurés de leur charme.  Il s’éloigne, il a compris, tant mieux.

Et la musique s’interrompt tout à coup en elle.  Elle regarde autour, personne n’a tressailli.  Bien entendu. Mais pour elle, c’est comme si l’orchestre s’était arrêté.  Un soupir et elle va payer La nuit de l’oracle.

Dans la file d’attente à la caisse, le moineau ressurgit avec un livre dans les mains qu’il lui tend. « L’ogre de Barbarie de Pierre Brillon, ça ne vous tenterait pas? » Elle le regarde, insultée. « Vraiment? Je pourrais croire que vous me traitez d’ogre! Non, je reste avec mon Paul Auster. » conclut-elle, irritée.

La nuit de l'oracle de Paul Auster (crédit photo Phrenssynnes)

Plutôt que de retourner chez elle, elle décide de s’offrir un café au bistrot à côté de la librairie. Assise, patientant pour son cappuccino, elle examine, comme à son habitude, la toute dernière phrase de l’œuvre avant de la débuter.  Elle aime bien Paul Auster.  Elle raffole maintenant de ses livres. Lorsqu’elle a commencé à découvrir cet auteur, la finale la décevait souvent. Depuis, elle a choisi d’accepter ses histoires qui finissent en queue de poisson.

Café et livre de Paul Auster (crédit photo Phrenssynnes)

Elle termine la lecture de la première page quand devinez qui se pointe dans le bistro bondé en ce terne samedi après-midi? Et Don Juan s’assoit à la table aux côtés de Louise.  C’est la seule inoccupée, mais cela n’en réduit pas moins son irritation.  Elle a le goût de plier bagage tout de suite. Mais elle a atrocement envie de cette tasse fumante. Ce café mousseux qui vient juste d’être déposé à côté de la douce nuit de l’oracle.  Elle se persuade qu’elle a pris de l’expérience pour éloigner les dragueurs depuis sa dernière rupture.  S’il s’attend à ce qu’elle joue la coquette, il va être déçu.  Elle déguste et s’aperçoit du coin de l’œil qu’il a acheté le même livre qu’elle.

— Oh! Bonjour, lance-t-il en la voyant.

 Il sourit et montre l’ouvrage.

— Ils ont réussi à m’en trouver un. Sans rancœur, ajoute-t-il, déployant son aimable dentition.

 En faisant signe au serveur, il commande un allongé et rajoute :

— Alors, comme ça, vous aussi vous aimez Paul Auster.  Moi, j’adore sauf la fin qui aboutit toujours en queue de poisson.

Bon! juge Louise, voilà un séducteur doué de télépathie, je devrai m’en méfier. Elle remet le nez dans son livre tout en sirotant son breuvage.

Quelques pages plus loin, elle songe à quitter les lieux lorsqu’elle entend sa fameuse rhapsodie qui joue dans le café; oh! là! là!  Elle va au moins rester pour entendre sa pièce au complet.  Elle lève la tête, son regard bleu se perd dans les notes de musique et elle savoure.  Il n’en faut pas plus à Casanova pour récidiver. « C’est bon, hein? »

Malgré son agacement, elle ne peut s’empêcher de sourire et de lui demander: « Oui, est-ce que vous connaissez le titre de ce morceau?

— Bien sûr, c’est Le Boléro de Ravel.  Et savez-vous quoi?  Je viens tout juste d’acheter le CD en même temps que le livre! » déclare-t-il en lui montrant le disque compact. « Ah! » répond-elle avec une insondable gaieté.

Première page de La nuit de l'oracle (crédit photo Phrenssynnes)

Les doigts de Louise se mettent à battre la cadence sur le moelleux de la couverture du bouquin. Un profond sentiment de joie de vivre l’envahit soudain dans un crescendo. 

Dans la finale tonitruante de l’orchestre, ses doigts quittent La nuit de l’oracle.  Elle se surprend à lever la main et s’entendre dire : « Garçon! Garçon! Je vais prendre un autre cappuccino, s’il vous plaît! »

Photo de Lhom

Voici une photo prise de Central Park à New York, la ville où Paul Auster a vécu une grande partie de sa vie.

New York par une journée ensoleillée (crédit photo Lhom)

Je vous remercie d’avoir lu ce texte.

Si vous l’avez aimé, je vous exprime toute ma gratitude si vous le partagez avec vos amis, votre famille ou sur les réseaux sociaux. 

Je suis également reconnaissante que vous ayez pris le temps de lire mon texte au complet et de contribuer à la popularité du blogue!

J’attends vos commentaires avec plaisir.

Bonne semaine.

Phrenssynnes

 

  Cliquez ici pour lire d’autres articles sur Phrenssynnes se cultive.

book club illustration (credit DIVI)

Pour me suivre et ne rien manquer, inscrivez vous à ces deux publications.

En vous abonnant sur le blogue (sur la plateforme WordPress), vous recevez le samedi matin ma dernière publication sur différents sujets : la culture, la bouffe, les voyages ou certaines réflexions.

Abonnez-vous au blogue

Pour recevoir les dernières publications du blogue :

Vous pouvez aussi souscrire à mon infolettre mensuelle (sur la plateforme Substack). Sur une note légère, humoristique et positive, je partage les idées géniales découvertes lors de mes navigations sur le web et qui mérites votre attention.